Belle trouvaille que la découverte faite par notre ami Cédric d’une illustration signée P.-J. Bonzon sur la page titre de « Chacun sa croix », un recueil de poèmes de Paul Bulliard, publié en 1940. Nous reconnaissons-là les compétences de Cédric Allégret, diplômé des métiers des bibliothèques, de la documentation et des archives numériques de l’université Pierre-Mendès France de Grenoble, alliées à sa passion pour la littérature jeunesse et particulièrement de notre romancier. Convaincu des valeurs mises en avant par les Amis de Paul-Jacques Bonzon, c’est tout naturellement qu’il a bien voulu partager cette heureuse découverte avec nos lecteurs. Nous l’en remercions bien chaleureusement.
Yves Marion
“Chacun sa croix”, Frontispice
Bien qu’isolés géographiquement du monde, les sanatoria sont des lieux involontaires de rencontres pour une population, souvent jeune, confinée par la maladie. Au sein de ces établissements médicaux où l’on soigne la tuberculose par la cure d’air, de lumière et de soleil, une lutte commune contre la maladie réunit dans une grande fraternité hommes et femmes.
C’est en 1924 à l’Ecole Normale de Saint-Lô que Paul Bonzon, instituteur stagiaire, a contracté la tuberculose. Il obtient le 1er mars 1928 un congé pour se soigner. Il se retrouve donc admis le 28 février 1928 au sanatorium de Sainte-Feyre (Creuse) puis à celui de Saint-Jean-d’Aulph (Haute-Savoie) de novembre 1932 jusqu’en juin 1933 [1] . Radio, concerts, spectacles, théâtre, danse : le sanatorium de la M.G.E.N. à Sainte-Feyre est « le seul pôle d’animation culturelle de la région gueretoise ».[2] Paul participe à l’Association des Instituteurs en congés de longue durée (A.C.L.D.) dont il illustre le bulletin « Par l’Effort ».
Paul Bonzon a déjà quitté Sainte-Feyre lorsqu’un autre Paul y entre. Né en 1911 à Morteau, Paul Bulliard est instituteur depuis 1930, exerçant dans le Doubs. Sa jeune sœur Suzanne décède en 1935 de la tuberculose. Atteint lui aussi, il entre au sanatorium de Saint-Jean-d’Aulph pour se faire soigner de 1937 à 1938, puis à Sainte-Feyre de 1939 à 1943.[3]
Cette fraternité, que j’évoquais plus haut, perdure par-delà les murs du sanatorium et les années. Paul-Jacques Bonzon et sa première épouse n’ont jamais coupé les ponts avec leurs camarades du sanatorium. C’est sans doute à l’occasion d’une de leurs visites que les deux Paul se rencontrent à Saint-Jean-d’Aulph. Paul Bulliard écrit des poèmes depuis 1931 tandis que Paul Bonzon est plutôt versé dans le dessin et la peinture, même s’il a déjà publié en 1932 une chronique[4] dans le bulletin de l’A.C.L.D. sous le nom de Paul-Jacques Bonzon. Peut-être est-ce le Doubs, qui amorce la conversation entre les deux Paul : le père de Paul-Jacques est né à Mancenans, à quelques kilomètres de Morteau. La joie de vivre de Paul Bulliard dit « Bubu » et l’humour inventif de Paul Bonzon marquent le début d’une amitié entre les deux hommes, ponctuée de nombreuses rencontres à Saint-Jean-d’Aulph, Chabeuil et Sainte-Feyre. Paul-Jacques dessine même en 1940 le frontispice de « Chacun sa croix », recueil de poèmes de Paul Bulliard, qui fera impression sur le futur poète algérois Jean Sénac[5]. La guerre et les kilomètres ne les sépareront pas. Seule la mort y parviendra le 5 février 1943 quand Paul Bulliard décède à Sainte-Feyre.
Dans une lettre du 29 juin 1973 à Marc Soriano, reproduite dans son « Guide de la littérature pour la jeunesse »[6], notre auteur se confiera sur son enfance. En-dehors d’interviews ou d’allocutions, je ne connais pas de texte de Paul-Jacques Bonzon où le « je » prédomine. Ce texte bouleversant publié en juillet 1946 dans « Marches de France » (« Revue de culture littéraire et artistique » n°1, Le Sol Clair n°11, nouvelle série) est actuellement le seul connu où Paul-Jacques nous fait entrer dans l’intimité de son amitié avec Paul Bulliard.
Cédric Allégret
[1] Yves MARION, De la Manche à la Drôme, itinéraire de l’écrivain Paul-Jacques Bonzon, instituteur et romancier pour la jeunesse, Marigny, éditions Eurocibles, 2008, 320 p.
[2] Hugues FRAYSSE, La part des soleils 1958-1962 : quand nous étions en cure au sanatorium de Sainte-Feyre, Editions du Ver Luisant (Brive-la-Gaillarde), 2009, 209 p.
[3] Cédric ALLEGRET, Paul Bulliard et Paul-Jacques Bonzon, ou le poète et l’illustrateur, http://paul-jacques-bonzon.fr/bonzon_bulliard.htm , 2011-2016.
[4] Yves MARION, https://www.amis-pauljacquesbonzon.com/apjb/chronique-climatologique-montana-vermala-premier-texte-connu-publie-par-paul-jacques-bonzon/ , 2020.
[5] Jean-Pierre Peroncel-Hugoz in Assassinat d’un poète, Jeanne Laffitte éditeur, 1983: “C’est aussi celle [l’époque] où il publie son premier poème: “A Paul Bulliard” (novembre 1942). Poète, instituteur dans le Doubs, Bulliard (1911-1943) avait correspondu avec le jeune collégien, lui envoyant notamment son ouvrage “Chacun sa croix” (1940) qui avait du faire quelque impression à Sénac”.
[6] Marc SORIANO, Guide de littérature pour la jeunesse : courants, problèmes, choix d’auteurs, Flammarion (Paris), 1974, 568 p.

Hommage de Paul-Jacques Bonzon à son ami Paul Bulliard
Collection Cédric Allégret